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  • La Tourneuse de pages
  • France -
  • 2006
  • Réalisation. Denis Dercourt
  • Scénario. Denis Dercourt, Jacques Sotty
  • Image. Jérôme Peyrebrune
  • Montage. François Gédigier
  • Musique. Jérôme Lemonnier
  • Producteur(s). Michel Saint-Jean
  • Interprétation. Catherine Frot (Ariane), Déborah François (Mélanie), Pascal Greggory (Monsieur Fouchécourt), Clotilde Mollet (Virginie), Xavier de Guillebon (Laurent), Christine Citti (Mme Prouvost), Jacques Bonnaffé (M. Prouvost), Antoine Martynciow (Tristan)
  • Distributeur. Diaphana Films
  • Date de sortie. 9 août 2006
  • Durée. 1h25
  • voir la bande annonce

L'insoutenable pesanteur des notes, par Ariane Beauvillard

La Tourneuse de pages

Mélanie a dix ans et insuffle une petite touche de poésie dans un monde familial trop simple pour elle. lors de son passage au concours du Conservatoire, elle croise le regard de la présidente du jury qui signe un autographe durant sa prestation. Mélanie referme définitivement son piano après ce manque d’attention. Quelques années plus tard, elle devient la jeune fille au pair de la famille, se rapprochant de celle qui a probablement changé sa vie. Le cinquième long métrage de Denis Dercourt, sélectionné cette année par Un Certain Regard à Cannes, s’intéresse une fois encore, notamment après Mes enfants ne sont pas comme les autres. au mystère et à la dureté des musiciens. Évitant le piège d’une relation ambiguë trop appuyée entre les deux femmes, il signe un film tout aussi virtuose que ses interprètes dans un ensemble parfaitement construit.

Ses doigts se sont engourdis à dix ans, pas son esprit. Jeune fille à l’apparence sage, jupe droite, coiffure impeccable, au regard vague, Mélanie a grandi dans une famille de bouchers, et a raté un concours toute petite. Un échec au Conservatoire qui semble être passé étant donné la tournure juridique de ses études. Mais lors d’un stage dans le cabinet Fouchécourt, elle travaille sous les ordres du mari d’Ariane Fouchécourt, pianiste reconnue dont l’indélicatesse lui avait valu un refus au concours du Conservatoire. Rapidement remarquée par celui-là, Mélanie est engagée dans la maison familiale pour veiller pendant les vacances sur leur fils. S’instaure alors une relation particulière entre la nouvelle jeune fille au pair et l’ensemble de la maisonnée.

Personne n’est ou ne sera au courant du parcours de Mélanie. Ariane et son mari savent qu’elle joue du piano, qu’« elle connaît la musique » comme ils le disent plusieurs fois. Mais l’opacité du personnage incarné par Déborah François (qui prouve ici sa capacité à sortir d’un registre aussi particulier que celui des frères Dardenne et de L’Enfant ) est telle que personne ne saura rien. Ni Ariane, ni son mari, ni celui qui regarde la danse menée par Mélanie. Une danse complète. Car Denis Dercourt ne s’est contenté ni de filmer une partie de cache-cache entre deux femmes aux regards flous et insondables ni de dérouler la vengeance d’une jeune fille un peu perverse. Tous les êtres de La Tourneuse de pages ont leur mystère.

Bien entendu, Mélanie est au centre de la ronde. elle crée une relation particulière avec tous les protagonistes. La confiance avec M. Fouchécourt, le défi avec son fils, l’indispensabilité avec Ariane. Celle-ci connaît les affres du trac depuis un accident de voiture. la présence de Mélanie la rassure, lui fait oublier le supplice le plus terrible du musicien, celui de la fausse note, du contretemps. L’amour vient-il poindre le bout de son nez. Difficile de distinguer sentiments réels et objets de manipulation. Le rapport de pouvoir qui s’instaure entre les femmes est à double tranchant. Mélanie a besoin d’Ariane pour vivre en musique, Ariane a besoin de Mélanie pour faire vivre sa musique. Ce serait sans compter la violence contenue de Mélanie… et la violence constante du rapport de classes et d’âges. Trop en avant, Ariane est proche de la chute. Lorqu’elle achète une robe à Mélanie, elle possède le portefeuille, et n’en choisira pourtant ni la forme, ni la couleur, ni l’utilisation.

La jouvencelle ne dit rien, est toujours plus couverte qu’Ariane qui se dénude psychologiquement et physiquement au fil du film. La parole, l’ordre est à Ariane, la maîtresse de maison et l’artiste, mais l’action est à Mélanie qui a su se rendre irremplaçable, et qui saura trouver la cruelle faille de chacun d’entre eux. Il y a quelque chose des Biches dans l’analogie vestimentaire et érotique progressive des deux femmes et dans la prise de contrôle sur Ariane et son entourage. Chabrol n’est pas très loin non plus quand on découvre la maison des Fouchécourt au perron quasiment identique à celui de La Femme infidèle . une grande bâtisse dans laquelle on n’entre pas par la porte mais par les fenêtres, faite de couloirs et d’escaliers, un vaste parc qui se transforme en champ de bataille, une atmosphère presque policière qui ne délaisse pas la peinture sociale et humaine.

La force de Denis Dercourt est d’avoir choisi la lisibilité et la simplicité. son film ne comporte que très peu de dialogues et de champ/contre-champs qui auraient rapidement pu devenir systématiques dans les échanges de regards. C’est l’image elle-même qui départage les êtres. dans un ensemble presque froid tant il est sobre, on aperçoit toujours une ligne qui coupe le cadre, un mouvement qui déstabilise l’apparente perfection. De Schubert, on passe à Bach. Le piano est évidemment beaucoup utilisé en ce sens. cependant, Denis Dercourt ne manque pas d’imagination pour trouver d’autres perspectives, d’autres déconstructions, notamment dans la forme de la végétation du jardin, ou de la salle Olivier Messiaen de la Maison de la Radio.

Denis Dercourt est un musicien, professeur d’alto depuis une dizaine d’années. il sait jouer mais également filmer la musique. La Tourneuse de pages n’est ni un documentaire pour amateur de musique de chambre ni une Å“uvre reposant sur une émotion purement musicale. Le travail sur les couleurs et les expressions en témoigne, tout comme la direction d’acteurs, millimétrée. Pascal Greggory reste, mais avec perfection, dans le domaine du non-dit et Catherine Frot prouve encore (peut-être trop rarement) qu’elle n’est pas seulement une actrice de comédie. La Tourneuse de pages. avec ses allures sobres et droites, surprend par ses décalages. Pas si classique que cela.

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