Criar um Site Grátis Fantástico
Streaming Ida 2160p

« Ida » sonde le tréfonds de l'âme polonaise

LE MONDE | 11.02.2014 à 09h01 • Mis à jour le 28.01.2015 à 11h49

Par Franck Nouchi

aA Facebook Twitter Google + Linkedin Pinterest Abonnez-vous au
Monde.fr dès 1 €

Agata Trzebuchowska dans le film polonais de Pawel Pawlikowski, "Ida". | MEMENTO FILMS DISTRIBUTION/OPUS FILM

C'est un film en blanc et gris. Blanc comme la neige. ce linceul qui recouvre les corps abandonnés. Gris comme l'âme de la Pologne en cette année 1962. Quatre jeunes nonnes portent une statue, et revient en mémoire une expression. « avoir l'âme chevillée au corps ». Qu'est-ce que ça signifie. « Avoir la vie dure », dit le dictionnaire. Pour Ida, l'héroïne du film, ce sera un peu plus compliqué. Résumer à elle seule l'âme d'un peuple.

Dès les premières images d'Ida. le nouveau film de Pawel Pawlikowski, on pense à ces phrases de Jean-Marie Le Clézio, extraites de L'Extase matérielle (Gallimard, 1967). « La grande beauté religieuse, c'est d'avoir accordé à chacun de nous une âme. N'importe la personne qui la porte en elle, n'importe sa conduite morale, son intelligence, sa sensibilité. Elle peut être laide, belle, riche ou pauvre, sainte ou païenne. Ça ne fait rien. Elle a une âme. Etrange présence cachée, ombre mystérieuse qui est coulée dans le corps, qui vit derrière le visage et les yeux, et qu'on ne voit pas. Ombre de respect, signe de reconnaissance de l'espèce humaine, signe de Dieu dans chaque corps. »

Ce jour-là, ce qu'avait à apprendre Ida avant de prononcer ses vœux allait bouleverser sa vie. « Tu es une nonne juive ». sa tante, Wanda, la seule famille qui restait à Ida en ce bas monde. n'y alla pas par quatre chemins. « Tu es juive. » Comme un fouet qui claque, un verdict qui tombe, pas un mot, pas un mouvement. Juste le temps qu'il faut pour encaisser. Et comprendre. Nonne et juive. Juive et nonne. Ida Lebenstein. Originaire de Lublin. De parents morts dans des conditions atroces, exécutés par un fermier polonais. Et elle, sa tante, d'apparence si sympathique, qui est-elle. Wanda la rouge, cette procureure stalinienne qui envoya tant et tant de Polonais à la potence ?

Agata Trzebuchowska dans le film polonais de Pawel Pawlikowski, "Ida". | MEMENTO FILMS DISTRIBUTION/OPUS FILM

Ida est un film en blanc et gris. Ou plutôt en noir et gris, n'était-ce la neige qui n'en finit pas de tomber. Sur le fil du rasoir, au plus profond de la forêt polonaise et des massacres qui y furent perpétrés avant d'y être enfouis, il cherche à élucider l'énigme de l'âme de ce peuple au catholicisme chevillé au corps, pris en tenaille entre la Russie orthodoxe et la Prusse protestante.

A la recherche des corps perdus. en dépit d'une mémoire familiale exterminée, Ida, crânement, voudra savoir. Et comprendre. Sur le chemin de sa quête, elle croisera Lis, un beau garçon, joueur de sax et fan de Coltrane. Elle hésitera, comment faire autrement. Prendra conscience de sa beauté, découvrira les mystères de la séduction et de l'amour. avant d'aller jusqu'au bout d'elle-même.

Réalisé par Pawel Pawlikowski, précédemment auteur de My Summer of Love (avec Emily Blunt) et de La Femme du V e (avec Kristin Scott-Thomas et Ethan Hawke), Ida est un film étouffé, comme l'est le bruit des pas sur la neige. Un film retenu, comme ce passé polonais qui a tant de mal à passer. Une impression de perte de sens et de repères, renforcée par le format carré du cadre (4/3) et le décadrage quasi systématique des personnages perdus sous un ciel plombé.

Catholicisme, antisémitisme, communisme. confrontées à des trajectoires familiales et personnelles pour le moins douloureuses, Agata Kulesza (Wanda) et Agata Trzebuchowska (Ida) composent deux personnages métaphoriques de la disparition des juifs polonais. La nièce qui croyait au ciel, la tante qui n'y croyait pas.

A la fin du film, Ida parviendra à retrouver le fil de sa vie. En la voyant marcher vers son destin, sur la neige, d'un pas décidé, on pense à ce qu'écrivait Bernanos dans Le Journal d'un curé de campagne. « Je me suis levé, j'ai bu un verre d'eau, et j'ai prié jusqu'à l'aube. C'était comme un grand murmure de l'âme. Cela me faisait penser à l'immense rumeur des feuillages qui précède le lever du jour. Quel jour va se lever en moi. Dieu me fait-il grâce. »

Ce matin-là, l'ombre mystérieuse d'Ida lui montrait la voie.

Film polonais de Pawel Pawlikowski avec Agata Kulesza, Agata Trzebuchowska, Dawid Ogrodnik (1 h 19).

Par Franck Nouchi

aA Facebook Twitter Google + Linkedin Pinterest Abonnez-vous au
Monde.fr dès 1 €